Oriane Déchery, une artiste sur un chantier
Oriane Déchery est une artiste membre du collectif Diamètre 15, installé dans notre projet de la tour Orion, à Montreuil.
Oriane est actuellement en résidence sur le chantier de l’immeuble de bureaux le Passage à Montreuil. Depuis un atelier installé sur la base vie ou sur le chantier même, elle mène un travail de recherche et de création à partir des matériaux du chantier et en relation avec les compagnons de l’entreprise Léon Grosse.
Ce projet co-créé avec Alios présente une manière inédite de mêler le monde de l'art et du btp et d'appréhender le réemploi, la circularité et la réduction des déchets sur une opération immobilière.
Elle nous raconte ici son parcours, sa démarche et ses projets :
ALIOS: Peux-tu nous présenter ton parcours ?
Oriane Déchery: Il n’a jamais été très linéaire. Je suis sortie diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2009 en me sentant peu outillée pour une carrière artistique. Après un an en Hollande dans un atelier je suis revenue en France pour créer un programme de résidences et un festival dans une petite ville du Vaucluse en invitant chaque année une dizaine d’artistes de disciplines et d’horizons différents.
En 2015, j'ai décidé d'arrêter ce travail pour me concentrer à nouveau à ma propre pratique en tant que plasticienne. Mais je tenais aussi à maintenir un lien avec d’autres réalités, et j'ai ainsi travaillé pendant 5 ans en tant que bénévole pour une association de défense des droits des étrangers. Je fais aujourd’hui les choses un peu à la marge, en étant le plus autonome possible ou en imaginant mes propres cadres de travail comme cette résidence que nous avons créée avec Alios par exemple.
Réfléchir à ces économies et ces cadres de travail fait partie de mon travail de plasticienne.
Tableaux et sculptures réalisés sur le chantier d’un immeuble parisien, en utlisant les ressources trouvées sur place.
A: Que souhaites-tu faire lors de cette résidence sur le chantier du « Passage » ?
O.D: C’est très rare de pouvoir travailler 1 an et demi sur un projet, dans un tel contexte. C’est une temporalité très différente du travail d’atelier, ou des projets d’exposition.
Pour l’instant nous n’en sommes qu’à la genèse donc il y a une certaine incertitude : je ne peux pas prévoir ou contrôler ce qu’il va se passer et c’est assez excitant. Être sur un chantier c’est être au contact des hommes et des femmes qui y travaillent, et c’est se confronter à un rythme de travail différent et à des règles de sécurité rigoureuses.
Je suis impatiente des échanges qui vont découler de cette résidence. Je me sens finalement souvent plus à l’aise de discuter avec des personnes de métiers ou d’horizons différents du monde de l’art. Il y a tant de manières de faire ou de vivre l’art !
Il y aura d’une part ma pratique quotidienne inspirée de ce que j’observerai ou collecterai sur le chantier. Ce sera un aller-retour entre le chantier et l’atelier, qui donnera une certaine ampleur à mon travail, calmement.
D’autre part, je souhaite développer un projet que je viens de créer, Home Affairs. Il s’agit de produire des objets domestiques, plus ou moins usuels, fabriqués en série à la main, avec les déchets et les matériaux non utilisés, récupérés sur le chantier.
Les objets sont ensuite vendus sur le site internet dédié. Idéalement, j’aimerais proposer aux ouvriers, tout au long du chantier, de créer leur propre série d’objets, qu’ils pourraient ensuite vendre grâce à la plateforme, sans intermédiaire. Je ne prends aucune commission. Je cherche encore comment mettre en place cette proposition, compte tenu de leur travail quotidien et de l’organisation d’un chantier. Comment ouvrir des espaces pour détourner une activité, déplacer les habitudes…Beaucoup de questions demeurent à ce stade.
J’aime imaginer ce projet comme un outil en commun, avec une économie propre.
Home Affairs, édition de design réalisée à partir de matériaux du chantier
J’aimerais ensuite utiliser l’atelier que j’occupe dans la base vie pour en faire un showroom et espace d’exposition.
J’imagine aussi pouvoir mettre en place un atelier avec les enfants des ouvriers, et inviter d’autres artistes à faire des interventions, proposer des événements avec Alios…
J’ai beaucoup d’envies mais les choses se feront aussi en fonction de ce qu’il se passe sur place. Il faut que j’appréhende cette résidence avec beaucoup d’écoute et d’humilité. Ce n’est pas évident de trouver la juste organisation de mon travail dans un contexte aussi cadré et avec sa propre temporalité. Cela va prendre un peu de temps. J’essaie également de ne pas envisager cette réalité quotidienne, qui n’est pas la mienne, avec mes fantasmes. J’espère aussi éviter de me « servir » des savoirs faire des ouvriers comme une base technique pour mon travail, en essayant plutôt de mettre en place des relations qui nous décalent toutes et tous dans nos pratiques, si différentes soient elles.
Lampes et accrochage réalisés dans l'atelier situé dans la base vie du chantier
A.: D’où vient ta passion pour l’architecture et les matériaux de chantier ?
O.D.: Ce sont surtout les chantiers qui m’intéressent je crois. Un moment très concret, très organisé, mais aussi un lieu peu accessible. Un lieu où chaque personne travaille dans le même sens, pour un objectif commun et clair. Même si l’objectif n ‘est pas pensé de cette manière, il y a quand même cette force du groupe, que je peine à retrouver dans les milieux de l’art.
Et c’est vrai, j’ai toujours préféré aller chez Point P plutôt que dans les magasins de beaux-arts. Il y a un vocabulaire plastique dans les matériaux de chantier que je trouve très riche. Ce sont souvent des éléments qui disparaissent, cachés dans l’architecture. En tant qu’artiste je pense qu’on essaie de déplacer le regard sur les choses. Ici je déplace tout d’abord ma pratique. Puis, je déplace ces matériaux, « sans valeur », du milieu de la construction vers les milieux de l’art, ce qui me permet de déplacer leur valeur économique et plastique. L’art est un outil.
Matériauthèque, travail de référencement et de peinture engagé depuis 2017
A.: Tu as d’autres projets ?
O.D.: Des projets d’exposition oui : Notamment une exposition à la tour Orion avec le curateur Eladio Aguilera qui est en ce moment en résidence chez Diamètre 15.
J’arrive tout juste d’une résidence de 6 semaines à Singapour (résidence croisée avec le centre d’art MAGCP en France et Grey Project à Singapour) J’y ai mené un travail d’enquête historique, sociale et plastique sur la brique et ses usages à Singapour - La brique comme objet de mémoire historique, symbole d’expansion de la ville, et témoin d’une planification culturelle et sociale.
On peut en apprendre beaucoup sur l’histoire d’un pays et de ses politiques sociales à travers ses matériaux de construction !