Rencontre avec l'agence Leclercq Associés
Nous avons rencontré Paul Laigle, Charles Gallet et François Leclercq pour une discussion autour de leurs valeurs, leurs projets et leur vision des bureaux de demain...
ALIOS: Pouvez vous nous présenter l'agence, ses valeurs, et ce qui la distingue ?
Francois Leclercq: Nous sommes associés avec Paul et Charles depuis presque 20 ans. Parallèlement à l'architecture, nous faisons beaucoup d'urbanisme, de manière assez imbriquée. Cette notion urbaine nous permet d'avoir un regard assez singulier sur les projets et sur les territoires où nous sommes acteurs.
Nous avons également développé une activité d'architecture dans le bâtiment public (scolaire ou sportif dans notre cas) et privé (bureaux et logements). On élabore depuis 20 ans la construction bois, qui est une de nos spécialités. Quand je dis bois, c'est de A à Z: la structure, les parements de façade...
L'autre thème qui nous tient à coeur sur les sujets du tertiaire c'est un regard sur la programmation. En quoi des bureaux changent leur manière de se concevoir, de se donner aux travailleurs. Sur les logements également, on essaie de faire avancer les choses du point du vue de la construction, des surfaces etc...
Nous avons beaucoup travaillé sur le grand Paris, sur de très grands territoires comme les 30 communes, à Marseille et en Espagne, à Malaga et Bilbao.
Paul Laigle: Un autre aspect fondamental de notre travail est la "mise en récit". Quand j'ai commencé à travailler à l'agence, j'ai appris la capacité à dépasser l'urbanisme et l'architecture pour raconter une histoire. Autour de cette histoire, il y a les question de la programmation, des usages. Dans tout nos projets (bureaux, logements...) on se pose ces questions. Cette notion de récit et de narration est importante car ancrée dans notre ADN, notre manière de faire de l'architecture et de communiquer dessus.
Francois Leclercq: Cette structure de récit, on l'a acquise de manière plus prégnante sur des sujets urbains. La très grande complexité des projets urbains, c'est que ça dure très longtemps. A un moment donné l'image ne tient plus. C'est surtout les phrases qui comptent, les mots qui racontent une histoire. C'est assez littéraire en somme. Il faut écrire avant de décider.
ALIOS: Vous vous inscrivez dans l'histoire d'un territoire et vous prolongez cette histoire ?
Paul Laigle: Il y a en effet une appropriation du territoire. La formule qui est pas mal reprise à l'agence c'est "love the context".
Francois Leclercq: la phrase originale de Koolhaas c'est "fuck the context". Il y a une polémique: Toute une école d'architecture des années 70/80 ne parlait plus que de contexte. Koolhaas rappelle que, lorsque l'on a fait le Parthénon, le contexte importait peu. C'était l'objet architectural qui primait. L'architecture est un savoir, une discipline en elle même, qui n'est pas uniquement sous tendue par les arrivées extérieure, le voisinage etc...
Je pense qu'il faut les deux en même temps: Une très grande attention au contexte (social et géographique), mais aussi une autonomie, une puissance. Le contexte est une vision ambigue: Si on s'y attarde trop, on finit par faire des mièvreries.
ALIOS: Vous avez parlé du bois, pourquoi le bois?
François Leclercq: On est rentré dans le danse du bois par un concours gagné il y a une vingtaine d'années ou le bois était suggéré (Lycée de Savigny-sur-Orges).
A partir de ce moment là, on a eu une affection particulière pour le travail du bois, qui s'est renforcée pour un tas de raisons objectives sur des sujets environnementaux tant de manière précise que de manière globale.
Le bois c'est un savoir faire, une qualité, la possibilité d'une production qui peut se faire sur une filière de proximité. Ce n'est pas encore le cas mais ça peut le devenir; ce qu'on avait vu très largement dans nos études sur le grand Paris. Les forêts d'île de France existent réellement et, si ces forêts sont actives, elles ont une incidence sur le climat.
Il y a donc l'idée que le bois est une matière première qui, du point de vue de sa régénerescence permanente, permet de modifier les choses à un niveau territorial très large. Le bois correspond aussi à une industrie locale très interessante allant jusqu'à la fabrication d'un chantier. Ca demande un savoir faire nécéssaire de notre part et de la part des entreprises mais ça se fait dans un délai très court, beaucoup plus que le béton qui nécéssite un temps de séchage. C'est en plus très silencieux!
Je ne dis pas que la ville de demain ne sera faite que de bois. J'aime beaucoup l'architecture métal et béton, mais le bois correspond à des faits objectifs, climatiques et de répercussion sociale. Il apporte aussi une vraie qualité de confort, de respect... Il y a tout un plaisir dans le travail du bois.
Paul Laigle: Ce sont des critères objectifs mais il y a aussi une dimension subjective sur le bois. Habiter dans un logement en bois aujourd'hui, c'est incarner une conscience environnementale que les générations précédentes n'avaient pas. Dans le béton il y avait une dimension patrimoniale et individuelle qui était forte alors qu'aujourd'hui on peut trouver l'intérêt d'habiter dans du logement en bois dans une conscience collective. Il y a quelque chose qui dépasse le matériau et ses qualités objectives.
Sous le signe du bois, Vélizy-Villacoublay (78) - Lycée Nelson Mandela, Nantes (44)
ALIOS: Depuis la crise du Covid, on constate une fuite des villes vers les banlieues proches ou la province, comment rendre la ville plus attractive ?
François Leclercq: En France, il y a une concurrence permanente entre les territoires. La concurrence qui a été exacerbée dans les 20 années précédentes, c'est celle entre les métropoles. Il y a eu une compression dans le temps avec la crise des gilets jaunes qui montrait la désaffection, l'abandon du territoire de l'entre deux, des bourgs oubliés etc... D'un autre côté, le covid est arrivé juste après la crise des gilets jaunes et le retour à la campagne est devenu une possibilité. Le confinement en ville est devenu désagréable et il y a maintenant une concurrence beaucoup plus complexe.
Il y a en effet une envie d'aller à la campagne, de réinvestir ces territoires délaissés, qui a été un peu autorisé par un nouveau rapport au travail. Donc on peut penser que la concurrence entre les territoires évolue de manière très différente de ce qu'on avait imaginé. Il y a une certaine revanche de ces territoires du vide.
ALIOS: Par rapport aux nouveaux modes de travail, comment imaginez vous les bureaux de demain? Aurons nous encore envie d'aller au bureau et en quoi l'architecture peut avoir un rôle à jouer ?
Paul Laigle: Je vois la crise sanitaire comme l'opportunité de pouvoir aborder de nouveaux sujets. La crise permet une réceptivité de la part de tous à de nouvelles valeurs, de nouveaux paradigmes. Ce qui est intéressant, c'est que ce qu'on développe depuis déjà un certain temps sur les usages dans le tertiaire et que l'on commençait à mettre en place sans doute un peu timidement, s'accélère de manière exponentielle. Aujourd'hui on ne construit plus pour des investisseurs mais pour des collaborateurs. Pour que des collaborateurs de qualité viennent dans nos bureaux et y restent le plus longtemps possible, y trouvent une ambiance confortable qui permet d'être créatif, innovant etc...
Tous ces nouveaux usages sont très porteurs. Il y a 20 ans on commençait à mettre de la lumière naturelle devant les ascenceurs, il y a eu du chemin depuis!
On s'est posé la question de savoir dans quel univers on allait se restaurer, on s'est rendu compte que le bureau devenait comme une petite ville, avec l'importance des commerces de proximité, des services... Et puis il y a la prochaine génération, bien représentée dans le projet de Pantin, qui se caractérise par l'envie d'aller plus loin que toutes ces nouvelles aménités et de se poser la question de la population. Dans quel espace de travail je souhaite vivre et dans quel rapport de proximité avec les gens ?
Nous n'avons plus envie d'un campus fermé. Au contraire, c'est l’ouverture, la rencontre avec ses collègues et les habitants du quartier qui est intéressante dans le fait d'aller travailler.
Arboretum - Campus Seine, Nanterre (92)
François Leclercq: Pour moi le télétravail ne correspond qu'à certaines activités tandis que d'autres le supportent mal: la nôtre par exemple, discuter autour d'une table avec un papier et un crayon ...
Il y a beaucoup d'interrogations qui naissent et le travail dans les bureaux sera fortifié par la necéssité de la rencontre alors que le travail solitaire peut se faire chez soi.
Ce qui m'intéresse c'est que nous allons rentrer dans beaucoup de flou. Dans le logement il y a des certitudes (une chambre, une cuisine, un salon etc...), une forme de perennité. Dans le bureau on ne sait pas trop. Ce sont souvent des structures assez libres qui permettent d'inventer beaucoup de choses. Il y a mille manières d'habiter un bureau, et c'est ce qui fait sa qualité.
On peut même se dire que les bureaux devraient pouvoir se transformer en logements. C'est en général une structure de très bonne qualité, avec des hauteurs sous plafond et des épaisseurs intéressantes. le bureau est une valeur nomade. J'aime les bureaux comme des structures d'accueil, quel que soit le moment. Le moment de la conception, le moment du chantier puis plus tard... C'est des immeubles qui peuvent muter en permanence.
Charles Gallet: Le télétravail pose aussi la question du logement. Il y a des résonnances qui vont se faire entre les deux. Le bureau va évoluer mais le lieu d'habitation aussi.
ALIOS: pouvez vous nous faire un focus sur quelques uns des projets sur lesquels vous travaillez ?
François Leclercq: L'architecture prend des directions étonnantes. Si on m'avait dit il y a 3 ans que nous ferions un projet balnéaire à Malaga je me serai dit "mais qu'est ce qu'on fait là?". On a par exemple gagné un concours sur la Grande Motte, une ville balnéaire de la 5ème république naissante, avec des formes bizarres. Il a fallu se replonger dans cette architecture des années 60, de forme pyramidale. On a travaillé sur cette architecture balnéaire à grande échelle.
On a également été invités à Malaga à réexplorer l'idée autour de la géomorphologie, c'est à dire savoir en quoi les bâtiments pouvaient correspondre à la géographie environnante. En Espagne les montagnes en arrière plan par exemple. Comment un immeuble peut être un clin d'oeil au paysage? Comment l'architecture peut être, non pas l'arrogance d'une ville, mais une adaptation géomorphologique?
La Térmica, Malaga (Espagne)
Paul Laigle: La grande Motte et Malaga sont des projets assez complets sur la question urbaine, mais aussi sur les logements. Il a fallu refaire des logements avec la même intention originelle qui était d'avoir le plus de lumière et de vue possible. Ces pyramides complètement folles ont finalement une qualité d'usage qu'on essaie de rationaliser, de retrouver pour créer de nouvelles formes urbaines en connivence avec ce qui existe déjà. Ce qui est intéressant c'est la manière dont on part d'un territoire presque artificiel imaginé à cette époque là avec une belle intention et comment est ce qu'on le rend contemporain.
J'aime ces projets qui vont de la grande échelle à la petite échelle. Par exemple sur Paris-nord-Est, l'histoire c'est: Comment est ce qu'on requestionne tout le nord de paris entre les réseaux ferroviaires, les maréchaux, le périphérique...? Une histoire qui est partie de la géographie, des collines, des voies ferrées qui passent entre ces collines pour arriver dans paris et la manière dont tout cela marque le territoire. On a déroulé petit à petit cette histoire sous la forme d'étude urbaine, puis de capacité sur un bâtiment de très grande valeur patrimoniale: L'entrepôt Macdonald, qui fait 600m de long, le bâtiment le plus long de paris. Nous avons décidé de garder cette valeur patrimoniale, qui est devenue, après consultations, un véritable nouveau quartier. Il y avait tellement de logements qu'il a fallu construire un équipement scolaire, un immeuble de bureaux dessus ... Ce projet illustre assez bien ce que l'on fait à l'agence, depuis le territoire jusqu'au bout.
Les entrepots Macdonald, Paris (75)
Par rapport au bois, nous avons beaucoup appris et pris de plaisir à travailler sur des équipements publics. Le bois est devenu un prétexte pour questionner d'autres spatialités.
Sur l'enseignement, nous avons beaucoup avancé sur les espaces de rencontre entre les élèves, la cour. A Savigny, un campus au fil de l'eau, on a imaginé une promenade le long des berges du fleuve pour relier tout les bâtiments. Cette promenade est devenue un lieu de vie des étudiants qui viennent s'assoir comme sur un ponton. Dans les lycées, on s'éloigne du collège avec la cour classique où les garçons jouent au foot. Ces enfants ont grandis, forment de petits groupes qui se regardent les uns les autres. Ces spatialités qu'on ne nous demandait pas sont devenues très importantes, suffisamment intéressantes pour qu'on vienne nous chercher pour en créer d'autres.
Lycée Jean-Baptiste Corot, Savigny-sur-Orge (91)
Charles Gallet: A l'origine c'était aussi une résolution technique pour rendre le bâtiment accessible aux personnes à mobilité réduite . Cette passerelle a redonné de la cohérence au site, créé un lieu de vie et amélioré l'accessibilité. Ces espaces qui ne nous sont pas demandés mais que l'on a imaginés nous définissent plutôt bien.
François Leclercq: On commence également un projet en suisse: un campus tertiaire dans lequel il y a de la mixité (hôtel, logement etc...). Si nous avons été pris suite a une consultation, c'est grâce à un important travail sur la programmation. Ce qui est très beau et ce qui est une leçon de notre projet à Pantin ce sont les intersection entre deux mondes: un monde clos qui est souvent un campus tertiaire, et une ville. Ce qui est beau a Pantin et ce qui a été préfiguré, c'est l'intersection des usages. Montrer tout ce qu'un site peut avoir comme générosité potentielle, qu'il ne soit pas uniquement un effet d'annonce...